Une fresque d’une force implacable

CRITIQUE · Impressionnant, le «Nicolas de Flüe» vu par Arthur Honneger et Denis de Rougemont.

Le Choeur de l’Université et des Jeunesses musicales, l’Accroche-Choeur, le Choeur céleste, le Choeur de l’Ecole cantonale de degré diplôme et l’Orchestre d’harmonie de Fribourg, tout ce monde était réuni sous la baguette de Jean-Claude Fasel pour interpréter, vendredi soir à l’église du Collège Saint-Michel, une légende dramatique en trois tableaux d’Arthur Honneger et Denis de Rougemont, Nicolas de Flüe: un grand spectacle musical créé pour l’expo nationale de 1939, et qui reste d’une force implacable.

Il y a dans cette oeuvre un souffle épique et une violence qui laisse abasourdi. Le texte de Denis de Rougemont offre une démesure merveilleuse empruntée sans doute aux vies de saints médiévales, et le récitant (il n’y a pas de solistes) en donne une lecture fracassante: Eörs Kisfaludy est un acteur fantastique, il raconte la vie de Nicolas de Flue avec passion, il se déboutonne, il crie, chuchote, émeut et terrifie. On verra des princes arrogants, des mendiants magiciens, un paysage de rochers et de grottes, un ciel d’angoisse et de haine. Trompettes guerrières et tambours battant, voilà par exemple Nicolas de Flüe face à une troupe de Suisses aux bras noueux: solide comme un soldat de Hodler, la musique d’Honneger est tonitruante, la fanfare et les chanteurs dégagent une âpreté et une puissance que Jean-Claude Fasel mène avec jouissance à son maximum.

CELESTE ET BIENFAISANT

Heureusement, tout n’est pas du même tonneau dans cet oratorio, il y a aussi quelques moments calmes! Les couleurs chorales sont parfois bucoliques («au matin d’un jour d’été, sur l’alpage, les enfants de Nicolas courent à leur père en chantant»…), le souffle juvénile et transparent du choeur d’enfants est bienfaisant et le choeur céleste que l’on entend à la tribune est délicieux: c’est un choeur de femmes à trois voix, auquel Honneger réserve ses plus belles pages, qui sont aussi les plus difficiles. Un autre passage de l’oratorio retient l’attention, c’est la Marche des ambassadeurs que l’Orchestre d’harmonie joue seul. C’est splendide, à la fois populaire et savant. Les thèmes se mêlent habilement, Honneger décrit avec une belle ironie l’arrivée pompeuse des ambassades du roi de France ou du duc d’Autriche («petit troupeau des Suisses, te voilà bien gardé par le renard et par le loup!»).

Puis le grand spectacle se termine, comme on pouvait s’y attendre, par un final en feu d’artifice et en deux nuances, fort et encore plus fort.

PHILIPPE MOTTET-RIO