L’Accroche-Choeur de Jean-Claude Fasel signe un disque de musique populaire (Bovet, Boller, Kaelin) de première qualité. Un hommage à ces « Chansons d’ici » qui acquièrent un statut proche du classique.
Il en est des chansons populaires comme des paysages. A trop les entendre, à trop les voir, ils perdent de leurs couleurs et de leur fraîcheur. C’est tout le mérite du dernier disque de l’Accroche-Choeur: réinventer des oeuvres qui ont pris, au fil du temps, des allures de « tubes » populaires, entonnés dans les cantines pour célébrer le pays. Le directeur Jean-Claude Fasel s’est éloigné de tous les poncifs qui ont, progressivement, entaché l’interprétation de ces partitions. A la manière des musiciens baroques qui reviennent au texte original, il s’attache d’abord à l’écriture musicale sans jamais négliger le texte, qui éclaire l’harmonie.
Résultat: un bel enregistrement, toujours respectueux du style de l’oeuvre, et porté par de superbes qualités vocales. Car l’Accroche-Choeur était placé devant un défi: comment interpréter un Nouthra Dona di Maortsè ou La fanfare du printemps de Bovet sans tomber dans le déjà entendu? Fasel possède un sens de la voix, un talent pour colorer les timbres de ses registres, le souci constant de l’équilibre sonore qui transforme ces pièces en pierres précieuses, dont l’éclat scintille d’un bout à l’autre. Et la célèbre prière à la Vierge des Marches s’impose comme dans une première audition, où l’oreille saisit toute la transparence d’une subtile harmonie.
Dès l’entrée, le Ranz des vaches impressionne par sa puissance, sa largeur, son caractère d’éternité qu’avait souligné en sont temps un Gustave Doret. L’immortelle de Jean (Bovet) atteint une finesse dans le style, dans le jeu de l’écho entre la soprano Myriam Ducret et le ténor Marc Agustoni. Les interprètes possèdent un sens du phrasé qui tient dans l’art choral fribourgeois d’une AOC musicale… Une impeccable intonation – hormis quelques aigus trop serrés – une parfaite diction, une souplesse remarquable: vraiment, ce disque est de la très belle ouvrage vocale.
Il est aussi une visite, en accéléré, de l’histoire chorale fribourgeoise. De Bovet – avec ce Vieux Léman auquel Fasel injecte un caractère intemporel – on passe à Boller, le subtil coloriste du Pays du Lac, ce festival composé en 1939, dont l’Accroche-Choeur interprète jour et Terre de mon enfance. Sont rendues toute la noblesse de l’écriture bollérienne et la finesse d’une harmonie qui lui est propre. De Kaelin, qui sait rendre légère la gravité de la vie, le choeur chante Adyu mon bi payi (très beau ténor), Chante en mon coeur pays aimé ou l’étonnante Chanson d’ici, débarassée de son moule souvent scolaire! Deux oeuvres de Michel Hostettler et André Ducret (le superbe et mélancolique Soir d’octobre) concluent ce périple dans cet univers choral dont cet enregistrement permet de dégager les caractéristiques et l’évolution formelle et thématique. Chansons d’ici, titre du CD, mérite d’être dans toutes les bibliothèques des amateurs d’art choral, et plus généralement des amoureux de la belle musique.
Patrice Borcard